Alors que le Gabon amorce une nouvelle ère de rigueur dans la gestion des finances publiques, la signature, le 12 juin 2025, d’un partenariat entre l’Agence nationale des bourses (ANBG) et plusieurs instituts privés camerounais soulève une interrogation de fond. Est-ce le bon moment ?
Sur le papier, l’objectif est d’élargir l’offre de formation des étudiants gabonais, notamment dans des filières dites stratégiques. Dans une région marquée par la mobilité croissante des compétences, le programme « CEMAC Sup » s’inscrit dans une dynamique d’intégration régionale. Il vise à renforcer l’employabilité, lutter contre le chômage et rapprocher les systèmes éducatifs des pays membres de la CEMAC.
Jusqu’ici, rien d’anormal. S’ouvrir à d’autres modèles de formation est souvent bénéfique, à condition d’avoir les moyens de ses ambitions.
Le paradoxe naît ailleurs. En interne, l’ANBG traîne des dettes massives envers les établissements supérieurs privés du Gabon. Plusieurs d’entre eux affirment ne pas avoir été payés depuis 2 à 3 ans et plus encore. Certains fonctionnent en déficit chronique, sous perfusion, tout en continuant à former des milliers d’étudiants gabonais.
Pire. Les retards de bourses et de paiements de frais de scolarité à l’étranger plongent les étudiants dans des situations de précarité. Comment justifier, dans ce contexte, la signature d’un nouveau partenariat international, aussi vertueux soit-il, sans avoir réglé les engagements déjà contractés ?
Depuis quelques mois, le gouvernement a clairement affiché une volonté de discipline budgétaire. Sous l’autorité du ministre d’État en charge des Finances, les missions et formations à l’étranger sont gelées. Il est question de maîtriser les dépenses, assainir les comptes, et recentrer l’action publique sur les priorités nationales.
Or, le partenariat avec des instituts étrangers semble s’inscrire à contre-courant de cette politique. Il soulève une question de cohérence stratégique. Comment investir à l’extérieur sans sécuriser d’abord l’intérieur ?
Les établissements gabonais, bien qu’en difficulté, ont récemment démontré leur capacité d’adaptation en accueillant les fonctionnaires stagiaires, dans le cadre de formations locales. Un signal fort de leur engagement, mais aussi de leur potentiel.
Il serait donc judicieux et stratégique que l’État commence par :
Apurer la dette envers les établissements nationaux ;
Moderniser l’offre locale de formation ;
Instaurer un climat de confiance entre l’administration et les acteurs éducatifs privés ;
Réserver les partenariats internationaux à des filières non couvertes au Gabon, sur une base sélective, encadrée, et budgétairement viable.
Le partenariat ANBG-Cameroun n’est pas une erreur en soi. Il peut être un levier utile dans une politique régionale à long terme. Mais dans un contexte de tensions budgétaires, il devient risqué s’il n’est pas précédé d’un nettoyage sérieux des arriérés nationaux.
En somme, la vision est bonne, mais le timing est discutable. À vouloir regarder au loin sans régler les urgences locales, on risque de fragiliser davantage le tissu éducatif national. Le Gabon doit certes s’ouvrir, mais sur des bases solides, équitables et responsables.
Edouard Dure