Libreville. Le silence a duré quatre ans. Dense, lourd, presque coupable. Puis, il s’est brisé. Ce 15 juillet, Grégory Laccruche Alihanga, ancien maire d’Akanda, publie une lettre ouverte qui claque comme une détonation. Une confession, une accusation, un acte de mémoire.
Dans un style dépouillé mais tranchant, il y dénonce un système qu’il décrit comme brutal, cynique, bâti sur la peur et le silence. Et surtout, il nomme ceux qu’il accuse : le clan Bongo-Valentin.
Novembre 2019. L’opération “Scorpion” secoue les cercles du pouvoir. Officiellement, il s’agit de lutter contre la corruption. Officieusement, selon Grégory Laccruche, c’était une purge.
Il raconte avoir été convoqué chez Nourredin Bongo Valentin. Une demande le sidère, accuser son propre frère, Brice Laccruche Alihanga, de trahison. Il refuse. Trois jours plus tard, il est arrêté
Commence alors une détention sans fin. Sans jugement, sans avocat, sans lumière. Isolé dans une cellule de 6 m², privé de soins et de visites, il dit avoir vécu comme un otage, une monnaie d’échange pour briser son frère.
Pendant quatre ans, personne. Pas un visage, pas une main tendue. « Pendant trois ans, je n’ai pas vu mon frère. Pendant quatre ans, je n’ai vu personne », écrit-il. L’homme n’était plus un détenu, il était un message.
Aujourd’hui, alors que certains de ses anciens geôliers dénoncent à leur tour des traitements indignes, il répond sans détour « Vous nous avez traités pire que des cafards. »
Il dénonce une hypocrisie qu’il dit insupportable. Ceux qui ordonnaient hier, supplient aujourd’hui. Ceux qui se taisaient face à la torture invoquent désormais l’ONU et les droits de l’homme.
En 2020, l’ONU l’a pourtant reconnu comme prisonnier politique. Une plainte a été déposée en France. Le régime d’Ali Bongo, lui, se retranchait derrière une formule : « La justice gabonaise est souveraine. »
Grégory ne demande ni réparation, ni revanche. Il veut que l’histoire soit dite telle qu’elle s’est écrite. « Ceux qui crient aujourd’hui ont fait taire hier », martèle-t-il.
Ils ont étouffé la justice, piétiné les droits, bâillonné la liberté. Ils n’ont pas subi l’arbitraire, ils l’ont orchestré. Ils n’ont pas été victimes, ils ont fabriqué des prisons.
Dans un Gabon encore hanté par les fantômes de la décennie Bongo, cette lettre est plus qu’un témoignage. C’est une pièce au dossier de la mémoire collective. Une voix longtemps étouffée, aujourd’hui impossible à ignorer.
Le silence est rompu. La vérité, elle, ne demande qu’à faire son chemin.
Edouard Dure