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Francis Jean Jacques EVOUNA :  » Il est temps de reconstruire une véritable souveraineté économique et politique « 

À l’heure où le Gabon s’interroge sur le sens réel de son indépendance et sur les voies d’un redressement économique durable, Francis Jean Jacques EVOUNA, Président du Conseil Gabonais du Patronat, livre une analyse lucide et sans concession. Entre dénonciation des illusions festives, appel à la responsabilité des élites, plaidoyer pour un patronat moteur de l’emploi et mise en garde contre les politiques d’austérité, il dessine les contours d’une souveraineté à reconstruire, fondée sur la vérité, la compétitivité et la dignité nationale. 

Ginewsexpress : Monsieur le Président ! Célébrer la fête de l’indépendance, quelle nécessité ? Comment parler d’indépendance face à la dépendance économique, politique et intellectuelle de la plupart de nos pays, combien de temps faut-il pour vivre à la remorque d’une Histoire de façade sans prise avec la réalité, voire d’une indépendance aux antipodes des aspirations des populations ? 

Francis Jean Jacques EVOUNA : Merci à vous les médias qui jouez un rôle d’éducation des masses et cherchez à tout instant d’avoir mon opinion et ma petite expérience de la vie dans les domaines qui ont un lien avec la gestion de la cité. Je reprends la deuxième partie de votre question à savoir : combien de temps faut-il pour vivre à la remorque d’une Histoire de façade sans prise avec la réalité, voire d’une indépendance aux antipodes des aspirations des populations ? Je voudrais vous rappeler que l’homme vit de symboles pour se représenter ou représenter son environnement à travers ses différentes expressions. Ainsi, donne-t-il un sens à son existence et aux rapports sociaux. En ce sens, célébrer la fête dite de l’indépendance pour un pays n’est pas en soi une incongruité, mais l’important réside dans le contenu qu’on en donne. Dans le cas du Gabon, anciennement colonisé par la France, plus qu’une célébration, cet événement est un rapport à la mémoire. Il doit s’inscrire dans une perspective historique et en être un déterminant tant dans sa définition que dans sa réalité. 65 ans après la nuit coloniale, on ne peut continuer à s’énivrer de fêtes fastueuses, agrémentées de discours et slogans d’autocongratulation, des discours que démentent sans équivoque la détresse au quotidien des populations et leur pauvreté toujours croissante. La jeunesse africaine actuelle et plus précisément Gabonaise est ouverte au monde. Elle sait ce qui est essentiel ou accessoire, autrement dit ce qui est fondamental pour la construction de nos pays. Elle tient en horreur le tumulte de ces prestidigitations, de ces feux d’artifice, qui ne leur ouvrent aucune perspective, hormis le chômage, l’oisiveté, l’exil économique ou politique, etc. L’on pourrait se demander, comment parler d’indépendance face à la dépendance économique, politique et intellectuelle de la plupart de nos pays ? N’est-ce pas une crise de langage, d’une capitulation de l’élite dirigeante quant à sa mission de transformer la société, de répondre aux attentes des populations ? En réalité, L’indépendance c’est rompre d’avec la pathologie de la dépendance ; c’est construire une nouvelle légitimité historique ; c’est promouvoir une nouvelle vision du monde mieux du Gabon ; c’est interroger les mutations et les grands enjeux du moment, avec ses propres outils, afin de se projeter dans l’avenir. En d’autres termes, c’est être maître de son destin sans attendre l’onction de quiconque, mais aussi ne pas être à l’affût d’hypothétiques aides de l’extérieur. Des aides qui, en réalité, sont des leurres qui contribuent au « développement du sous-développement » de nos pays et de leur sempiternelle soumission. Est-ce que nous pouvons avoir un exemple d’un pays qui s’est développé avec l’aide du FMI ou avec soi-disant, l’aide au développement ? Ce serait très édifiant et ferait école ! Je crois que l’indépendance c’est garantir et rationaliser sa souveraineté ; c’est créer au sein de la population une dynamique de raccordement unitaire et nationale, par-delà la diversité des opinions ; c’est pacifier l’espace politique en magnifiant la tolérance comme mode de régulation des rapports sociaux et non tirer le pays par le bas en bâillonnant les voix discordantes, ou être à la quête des parrains à l’extérieur pour se maintenir ou accéder au pouvoir. L’indépendance c’est se prêter à l’innovation, à la créativité, pour l’intérêt général. L’indépendance exècre la violence comme mode de règlement de conflits et l’accaparement du bien collectif par un clan ou une quelconque entité. L’indépendance c’est le droit des populations de choisir leurs dirigeants en toute liberté sans qu’ils ne les leur soient imposés, d’une manière ou d’une autre, telles les élections de façade. L’Election du Président C’BON, le 12 Avril dernier à 94,85 % conforte cette assertion. En somme, célébrer l’indépendance pour un pays comme le Gabon, c’est bannir son aspect festif et privilégier son bilan et sa reconstruction. Dans son livre « Les damnés de la terre », Frantz Fanon fait observer que : Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, la remplir ou la trahir «. La jeunesse gabonaise actuelle, décomplexée, a choisi de remplir sa mission, celle d’écrire elle-même son Histoire avec le Président OLIGUI NGUEMA.

Dans un climat morose sur le front de l’emploi, les entreprises représentent souvent l’espoir d’une vraie amélioration. Quel rôle le patronat doit-il jouer pour impulser une nouvelle dynamique ?

Votre question est essentielle en matière d’emploi. Le rôle du Conseil Gabonais du Patronat comme tous les autres structures patronales est de tout faire pour améliorer la vie des entreprises, c’est-à-dire de mettre en place un écosystème fiscal, social et réglementaire favorable au développement de leur activité, un environnement qui leur permette d’être plus compétitives et de créer de l’emploi. L’emploi doit être une priorité. Mais l’emploi, c’est comme la croissance, ça ne se décrète pas, le non-paiement de la dette intérieure demeure un goulot d’étranglement pour les entreprises, surtout TPE et PME empêche les entreprises d’embaucher. La multitude des taxes ou encore la parafiscalité etc. Tout cela est la conséquence d’une chaîne vertueuse dont le point de départ doit être la baisse des prélèvements obligatoires qui pèsent sur les entreprises. Moins de prélèvements obligatoires, c’est plus de marges, donc plus d’investissements et d’innovation, plus de compétitivité, plus de croissance, donc plus d’emplois. Je rappelle toutefois que les chefs d’entreprise continuent néanmoins de créer des emplois. Dans une conjoncture particulièrement atone et avec les contraintes et les difficultés que l’on connaît. On imagine les miracles que réaliseraient les chefs d’entreprise Gabonais si on leur donnait la possibilité de travailler dans de meilleures conditions ? Je ne cesserai jamais de le dire : les chefs d’entreprise sont des héros. Et surtout, les chefs d’entreprise gabonais font preuve d’un courage et d’une résilience à toute épreuve. Je pense qu’il faut reprendre la philosophie qui sous-tend les réformes britannique et allemande du marché du travail, à savoir la flexisécurité : plus de flexibilité pour les entreprises et plus de sécurité pour les salariés.

Certains économistes vantent les modèles allemand et britannique en matière de retour au (presque) plein-emploi. Pensez-vous que les mesures prises dans ces pays puissent être transposables au Gabon ? Le risque n’est-il pas de créer du travail dit « précaire » supplémentaire ?

Je ne vois pas pourquoi les réformes britannique et allemande du marché du travail ne pourraient pas être transposées au Gabon. Il ne s’agit pas de les transposer à la lettre, mais de reprendre la philosophie qui les sous-tend, à savoir la flexisécurité : plus de flexibilité pour les entreprises et plus de sécurité pour les salariés. Et j’ajouterais de véritables perspectives d’emploi pour ceux qui n’en ont pas. Actuellement, que se passe-t-il ? Nous avons un marché du travail à deux vitesses avec les « insiders », qui bénéficient d’une sécurité de l’emploi grâce au filet protecteur des mesures et réglementations, et les « outsiders », qui, compte tenu de cette sécurisation accrue des emplois, ont vocation à rester à la porte de l’entreprise pendant un certain temps. Tous les chefs d’entreprise que je rencontre me le disent : ils ont peur d’embaucher parce qu’ils craignent de ne pas pouvoir licencier, en cas de retournement de leur marché ou de ralentissement de leur activité. Nous proposons – nous, au CGP – une législation du travail plus simple, plus souple et plus lisible afin d’adapter l’activité des entreprises au rythme de l’économie mondialisée. Mais il faut aussi agir en amont et revoir en profondeur notre système éducatif en donnant la priorité à l’enseignement primaire, au système d’orientation et à l’apprentissage. Quant au travail dit « précaire », je pense que tout est préférable à l’absence de travail. L’absence de travail mène vite à la désocialisation, à la frustration. Avoir une vie professionnelle, ce n’est pas seulement avoir une occupation, c’est avoir un rôle dans la société, participer au monde qui nous entoure ; c’est un vecteur d’accomplissement et de dignité. Quant aux salariés, et c’est la responsabilité des chefs d’entreprise, ils doivent être formés en permanence compte tenu de l’obsolescence rapide des compétences. La formation est un levier de compétitivité. Pour une vraie réforme du marché du travail qui prenne en compte le rythme de l’économie, afin de le rendre plus souple, plus flexible…

Monsieur le Président ! Le Président de la République Gabonaise à la fois Chef de l’Etat et Chef du Gouvernement vient à la suite d’un séminaire Gouvernemental de faire son bilan des 100 jours, d’où vient cette obsession des 100 premiers jours ? Pourquoi couvrir les 100 premiers jours d’un président ?

Avant de répondre à cet question, je voudrais vous rappeler qu’à l’origine, les “100 jours” ne font pas référence au retour au pouvoir de Napoléon en 1815. La tradition des “100 jours” des présidents de la Vᵉ République, en France, naît, d’abord, aux États-Unis, en 1933, avec le président Franklin Delano Roosevelt. C’est lui, pour la première fois, qui parle des 100 jours d’un président. L’Amérique, à l’époque, est toujours en pleine crise après le krach boursier de 1929. Il y a urgence à agir. Roosevelt, qui vient d’être élu, lance le “New deal”. Il demande alors à être jugé 100 jours plus tard. Et pendant cette période, il se démène et fait voter des dizaines de mesures qui vont amorcer le redressement économique des États-Unis. Et c’est à partir de cet épisode de l’histoire des États-Unis que va infuser, en France, avec l’avènement de la Vᵉ République, l’idée qu’un président dispose de 100 jours utiles pour agir. Ensuite est venue se greffer la référence aux 100 jours de Napoléon qui correspondent au retour au pouvoir de l’empereur en 1815. Les 100 jours de Napoléon instituent en France le mythe de l’homme providentiel. Qui va trouver une traduction constitutionnelle avec l’instauration de la Vᵉ République et l’élection au suffrage universel. Et donc, les 100 jours, c’est ça. C’est l’idée qu’on élit un homme providentiel à la tête du pays qui doit mettre en œuvre son action au plus vite pour être efficace. Ça correspond à un état de grâce durant lequel le nouveau chef de l’État jouit d’une forte popularité et au cours duquel, bien souvent, il lance ses premières actions qui donnent le ton de son mandat. C’est aux États-Unis, que Franklin Delano Roosevelt avait élaboré un programme extrêmement important à l’intérieur de ses 100 premiers jours au pouvoir pour relever le pays de la Grande Dépression. Une série de mesures avait été prise rapidement lors de son premier mandat en 1933. C’est à partir de là que s’est mise en place cette tradition. On le voit d’ailleurs lors des campagnes électorales, ces dernières années. Ce sont les candidats eux-mêmes qui disent dans les 100 premiers jours, je ferai ceci, je ferai cela. Je pense qu’on évalue davantage la prestance présidentielle. C’est un test de personnalité et de caractère. On évalue la cohérence de cette administration et comment les joueurs qui ont été nommés pour faire partie de l’entourage du président trouvent leur place. En ce qui concerne le séminaire gouvernemental dont vous faites allusion, je pense qui faudrait attendre le rapport de celui-ci pour mieux se prononcer.

Monsieur le Président ! pour sortir d’une crise économique ; les institutions financières recommandent souvent des politiques d’austérité, nous savons que l’économiste Stiglitz critique les politiques d’austérité souvent préconisées après une crise, Pourquoi ?

Je crois que l’économiste Joseph Stiglitz pense qu’il vaut mieux une politique de relance économique qu’une politique l’austérité afin d’éviter qu’elle puisse freiner la croissance et aggraver les inégalités.  Cette relance économique après une crise, doit être robuste et orientée vers des objectifs sociaux et environnementaux. Il préconise alors que des dépenses publiques soient bien ciblées pour lutter contre les inégalités, favorisent la mobilité professionnelle et opèrent une transition vers une économie verte et durable. L’économiste Stiglitz critique également les politiques d’austérité en plaidant pour une réforme des institutions financières internationales.  Les points clés de la vision de Stiglitz pour la relance économique sont : 1 – l’investissements publics ciblés en insistant sur l’importance d’investissements publics massifs et bien orientés pour stimuler la demande et créer des emplois ; 2 – la Lutte contre les inégalités en ce sens que la relance économique ne doit pas se faire au détriment des plus vulnérables. Il est crucial de lutter contre les inégalités et de s’assurer que les bénéfices de la croissance soient partagés équitablement ; 3- la Transition vers une économie verte : il souligne la nécessité de passer à une économie respectueuse du climat, avec des investissements dans les énergies renouvelables et la transition énergétique ; 4 – la Mobilité professionnelle : car Il est essentiel d’aider les travailleurs à se reconvertir et à s’adapter aux nouveaux emplois créés par la transition vers une économie verte. 5 – la Réforme des institutions financières internationale ; Stiglitz critique le rôle des institutions financières internationales telles que le FMI et la Banque mondiale, et plaide pour une réforme de ces institutions afin de mieux répondre aux besoins des pays en développement et de promouvoir une mondialisation plus juste. 6 – l’Indicateur alternatif au PIB : Il propose de compléter le PIB par des indicateurs plus larges qui prennent en compte le bien-être social et environnemental. Le bien-être social et environnemental.

Monsieur le Président ! La reprise économique est-elle là, comme le président de la République l’affirme ?

Je ne peux l’affirmer tel que le Président de la République le dit sans disposer des éléments probants à cet effet, si elle est là, elle est certainement ténue et fragile. Le risque principal pour notre pays, c’est celui d’une croissance sans emploi… Pour que l’économie et l’emploi repartent vraiment, les entreprises ont besoin que la dette intérieure soit liquidée, elles ont besoin de compétitivité et de confiance.

Monsieur le Président ! votre mot de fin……….

Pour terminer cet entretien, je souhaite que le Gouvernement puisse vraiment s’engager à procéder aux reformes de l’Etat pour rendre l’environnement de tous les secteurs plus attractif ; à mettre en place un dispositif opérationnel d’incitation et d’accompagnement de l’investissement privé, afin que celui-ci puisse jouer son rôle de moteur de croissance économique. Il s’agira de combler le déficit en infrastructures, de réduire les difficultés d’accès aux financements, de déployer sur le long terme un programme général de développement des filières de production et, sur le moyen terme et en liaison avec certains partenaires au développement, des programmes spéciaux d’impulsion de la compétitivité dans certaines filières à fort potentiel de croissance et de mise à niveau des entreprises, notamment des TPE et PME.

La rédaction

 

 

 

 

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