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Enquête / Cinéma/ Nigeria: Les imams font leur cinéma!

Au Nigeria, on est musulman ou chrétien. Et le cinéma, industrie florissante, est à cette image. Dans sa capitale nordiste, Kano, les histoires, les gestes, la morale des acteurs, tout est sous contrôle de la Charia. Kannywood, le Coran sous la caméra.  

Du sang, du sexe et des sous. Beaucoup de sous. A Nollywood, tout est dans l’excès. Les voitures de luxe, les cougars, les chefs d’entreprises, les soubrettes ambitieuses… Ça brille, et les Nigérians en raffolent. Aucun hasard si ce pays de 190 millions d’habitants est depuis 2009, la seconde puissance cinématographique au monde. Juste derrière l’Inde et devant la référence américaine. Plus de 2000 titres sortent chaque année, l’activité représente 1, 4% du PIB (2016), et devrait peser 2 millions d’emplois en 2020. Énorme. Lagos n’hésite donc pas. Son décolleté est plongeant, ses lèvres humides. Sur l’écran, comme dans sa périphérie, un parfum de scandale permanent… qui contraste avec Kannywood,la variante islamique, telle que le Nord l’a voulue. Changement de tenue. Immédiate.

En 1999, douze états du nord Nigeria ont opté pour la Charia, la loi islamique. Dans ce contexte religieux, le cinéma ne semblait avoir aucune place. Pour les imams, le compromis était inenvisageable. Ce qui n’empêchait pas un pragmatisme nécessaire. « Cette industrie de l’image donne de l’emploi à des milliers de personnes.Chaque mois, ce sont 50 films qui sortent, » relativise ce producteur. Plutôt que de tout fermer, il s’agit d’abord de recadrer les productions et d’imposer aux acteurs des règles de conduite strictes. Se développe donc un cinéma très différent de celui du sud. D’influence indienne, plutôt qu’occidentale, on suggère sans jamais montrer. Et ce sont ces mêmes codes qui perdurent aujourd’hui. Avec des acteurs et des actrices qui doivent coller à leurs personnages.

Des excuses au public pour une liaison jugée « indigne ».
Au journaliste du Daily Nigerian qui lui demandait comment pouvait-elle se montrer à l’écran avec des cheveux longs, la star Ummi Ibrahim Zee-Zee répond : « Je suis shuwa et nous avons les cheveux longs. Il m’arrive d’en être fière. Pourtant, je suis une personne religieuse.Je lis le Coran et le hadith et j’essaye autant que possible de respecter les principes de la religion. » Cette même actrice présentait encore des excuses au public pour une liaison qu’elle aurait eu avec un acteur. Les autorités religieuses ont vivement apprécié.

Les hommes n’échappent d’ailleurs pas à cette surveillance. Ali Nuhu est l’une des vedettes nationales. Il lui est arrivé de se montrer irrité. « Le pays Haussa ne va pas devenir plus islamiste que l’Arabie Saoudite ou l’Iran. », postait-il sur son compte Twitter. Une critique timide, qu’il s’est bien gardée de répéter au moment de l’affaire Ramaha Sadau (voir encadré). Certains internautes réclamaient d’ailleurs sa tête. « Ali Nuhu fait l’amour avec Jackie Appiah dans un film de Nollywood, il devrait être traité de la même manière ». Il est également vrai que la production du nord ne s’exporte que peu. Pour acquérir un brin de reconnaissance, les acteurs cherchent des rôles dans le sud. Et c’est à Nollywood que l’on acquière sa légitimité.

Des imans prêts à fermer les studios
Il n’empêche que les autorités religieuses n’entendent pas baisser les bras. En 2016, la communauté musulmane radicale de Kano a réussi à faire interdire la construction d’un centre cinématographique de 10 millions de dollars. « La volonté est d’améliorer nos techniques, d’acquérir plus de maîtrise. Nous nous renseignons sur Internet. Nous avons besoin d’écoles », explique ce réalisateur. Les chefs radicaux ne l’ont pas entendu de cette oreille. Il est vrai que certains films pouvaient afficher des questions « modernes », comme l’infidélité des hommes ou l’éducation des jeunes filles. Intolérable, a dit à plusieurs reprises l’imam Salisu Idris . En 2007, il comptait parmi les plus virulents adversaires du cinéma. « La censure avait tenté de détruire l’activité. Nous avons résisté et acquis une certaine liberté. » Mais pour combien de temps ?

Encadré / Rahama Sadau, « l’impudique »
Au nord du Nigeria, on ne badine pas avec les principes de l’Islam. En 2016, l’actrice Rahama Sadau, tourne le clip « I Love You » du rappeur ClassiC. Plusieurs fois, l’actrice a reçu des mises en garde du MOPPAN (Association des cinéastes du Nord du Nigeria). Gestes déplacés, dialogues équivoques, tenues interdites. Dans le film, la jeune actrice joue une vendeuse de légumes dont le chanteur tombe amoureux. Elle commence par refuser et au terme accepte, en lui donnant la main et se serrant contre lui. Inacceptable. Le contact est formellement prohibé. Rien à voir avec la « dépravation » du sud, trahisons, violences et… décolletés plongeants. « Nous sommes heureux que les cinéastes aient enfin ouvert les yeux », déclarait Salisu Idris, un imam de Kano. « Cela fait longtemps qu’on leur demande de nettoyer cette industrie, qui encourage l’immoralité chez les jeunes. » Kannywood (du nom de Kano la ville principale) entend faire le ménage.

 

Encadré / Une concurrence sauvage

Au Niger, la clientèle féminine raffole des histoires amoureuses de Kanniwood. Le marché  de Wabata, l’un des plus grands de Niamey en est un bon exemple. A la recherche de films qui soient respectueux des lois coraniques, la clientèle s’y presse. Dans les petites boutiques, les nouveautés s’arrachent. Le public en raffole. Mais ce succès n’est pas sans conséquence. Selon cet agent commercial d’une chaîne de télévision privée, « la diffusion d’un film nigérien peut coûter entre 300 000 et un million de francs CFA. Au contraire des films venus du Nigéria, acquis gratuitement et diffusés sans autorisation, ni droits d’auteur. »Faute de moyens financiers, les télévisions privées se contentent donc de ces films. La production locale, reléguée au second plan, ne cesse de décroître.

 

R.C

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